MICHELINE HACHETTE
FB « J’ai toujours eu le sentiment que l’œuvre lettriste
de Micheline Hachette avait un sens, et même du sens. C’est certainement parce que, plus particulièrement dans
le domaine des arts visuels où elle s’est exprimée dès le tout début de 1964,
elle a su réaliser et distribuer dans le temps, plusieurs œuvres
« phares » explicites, qui appartiennent de plain-pied à la culture
lettriste contemporaine, au point de parvenir même à la symboliser. Je veux
parler de Méca-esthétique pour la
construction d’une demeure (1968) qui figure aujourd’hui dans les
Collections du Paul Getty Musuem. Sous le titre général de Demeure et Maison, ce projet architectural édifie sa convulsive beauté au travers d’une paire de bottes en caoutchouc
recouverte d’inscriptions blanches, devenue, à la vue du temps présent et par
son aspect extérieur, un étrange reflet de nombre de réalisations de bâtisseurs
et designers du pompiérisme urbain actuel. Mais je veux aussi parler de L’œuvre
supertemporelle sado-masochiste (1976) et du Déjeuner sur l’herbe (1978). Il
faut y ajouter d’autres ponctuations, à mon sens remarquables, notamment sa Suite pharaonique (1982), composée d’un
ensemble de 28 pièces où les déclinaisons pseudo-hiéroglyphiques sont l’objet
d’une migration fracassante au sein de la multi-écriture.
Si les inclinaisons personnelles marquent les œuvres
réalisées par les uns et les autres, il faut, me semble-t-il, se garder de les
transformer en des clés de lecture totalisante. Pourtant, dans des
stratifications qui vont de la simple thématique à la mise en scène de choix
esthétiques, celles-ci travaillent avec la conduite des contributions
individuelles. Pour Micheline Hachette, la psychanalyse et l’égyptologie
appartenaient à ses penchants principaux. En 1992, à la Biennale de Venise,
elle exposait l’une de ses trois œuvre excoordiste sur tissu où ses
signes de prédilection n’apparaissent plus qu’au travers des perforations
opérées dans le support. Cette réalisation n’est pas sans rappeler une belle
pièce antérieure, choisie dans la même matière, pour illustrer ses combinaisons
d’Hypergraphie, cette fois-là splendidement mises à nu et étendues sur un drapé de
très grandes dimensions.
Chaque membre du groupe lettriste s’identifie à l’univers
des signes qu’il a peu à peu tissé. Dans le domaine de l’hypergraphie, si je
pense à Micheline Hachette, je vois se déployer un travail distingué, marqué
par des enchaînements stylistiques continûment réfléchis et sans faille. Si ses
premiers tableaux proposent initialement différents signes marqués par un
géométrisme accentué à l’allure cubiste, cette artiste développera rapidement
des lettres déformées de l’alphabet latin, imbriquées les unes dans les autres,
qui deviendront caractéristiques de son style, comme on le perçoit dans Lettre à Guatimozin, présentée à la
Galerie Stadler en 1964. Par la suite, cette organisation qui intégrera
progressivement des caractères notionnels va s’intensifier dans des carrés
systématiquement juxtaposés, recouvrant entièrement l’espace donné à voir.
Nombre de ses œuvres seront publiées dans des revues (Ur, Psi, Ether) et feront l’objet de multiples
expositions. Elle fut notamment invitée à participer à Materializzazione del linguaggio, en 1978, à la Biennale de Venise.
Micheline Hachette a mené parallèlement ses recherches
dans les arts plastiques et sonores. Dans ce dernier registre, elle est
l’auteur d’une cinquantaine de poèmes lettristes, infinitésimaux et
supertemporels. Il me semble juste de restituer ici une partie de l’article que
Roland Combet lui consacra dans la revue Bérénice (n°4, 1981 – 1982): « A propos de
son oeuvre, Intervalle, de 1966, Jean-Paul Curtay écrira, avec justesse,
me semble-t-il, mais non sans lyrisme, dans La Poésie Lettriste (Ed.
Seghers, 1974), que Micheline Hachette aborde
les phonèmes avec le détachement du chirurgien qui voit les plaies, mais ne
sent pas la douleur. Ainsi, ses expressions sont-elles plus destinées à la
vision qu'à l'audition. Des signes diacritiques destructifs parsèment le jeu
typographique, qui intime aux lettres des poses surprenantes par leur
sécheresse. Les lettries publiées dans le recueil Lettries Acides,
de 1969, poursuivent ces explorations en les développant plus avant, toujours
dans un ciselant extrême, vers une concentration et un hermétisme exagérés dans
lesquels les particules lettriques non conceptuelles s'éparpillent — s'éclatent — dans une multiplication
— débauche — typographique, en
se mêlant, dans un arrangement général précieux, à des lettres hypergraphiques
plastiques, indicibles. Lettries Acides parachève une composition de
1967, intitulée sans ambiguïté Poème Cubiste, où cette artiste nous
offre l'image d'un cube, constitué de lignes monolettriques superposées, que
l'on peut situer, dans le contexte complet de ses accomplissements, comme une
tentative de mise en relief sonore de la géométrie du cube ou une distorsion
projective de la ciselure (J.-P. Curtay, La Poésie Lettriste). Sigisbée, de 1968, qui, en
reprenant les organisations typographiques et les lettres plastiques de
multi-écritures, déjà explorées dans les morceaux précédents, s'ouvrent à une
originalité, nouvelle pour cet auteur, fondée, en illustration du thème des
troubadours et des trouvères, sur des formes fixes de la poésie du Moyen-Age.
En 1970, toujours dans l'exception du prétexte thématique, mais cette fois dans
l'art esthapéïriste des virtualités innombrables de la versification, Micheline
Hachette composera un Poème infinitésimal amplique qu'elle présentera
d'ailleurs elle-même au public, le 4 juin 1970, dans le cadre du Premier Festival
International d'art infinitésimal et supertemporel. Mais les fondements primaires de Micheline Hachette ne
cessent de s'approfondir et de gagner dans le ciselant — domaine où elle
excelle — une complexité qui lui permettra de s'épanouir pleinement. En 1976,
elle publie dans La poésie et la musique lettristes, aphonistes et
infinitésimales (La Novation,
n°5/6, 1976) Six poèmes infinitésimaux
(dont les titres particuliers à chacun: Usine,Tri spontané, Alternance simple,
Symbolisation, Les Nombres ou Etiquettes,
témoignent de l'intérêt que cette artiste porte aux mathématiques modernes)
fondés sur des ensembles dans lesquels des formes visuelles élémentaires: les
carrés, les cercles, les rectangles et autres trapèzes, données pour des
valeurs poétiques ou musicales imaginaires, sont sélectionnées, dénombrées ou
mises en relation avec des cardinaux ou des composants étrangers, hétéroclites,
qui suggèrent autant d'associations ou de cadences, également impossibles de
ces éléments. »
En dehors de son œuvre plastique et poétique, Micheline
Hachette a également proposé plusieurs
réalisations virtuelles telles que Le
petit livre d’or de l’Externité, une danse infinitésimale amplique, ou Propos hypocrites, mais aussi plusieurs
films: en 1970, Aimer un être, (des
petits cœurs roses destinés à être attachés à la boutonnières des spectateurs), A propos de Nice (réalisé en compagnie
d’Annie et de Ben Vautier dans le cadre du 1er Festival
International d’Art Infinitésimal et Sup.); en 1978, Frissons créateurs au fil du Nil (le déroulement de deux bobines de
fil parmi les spectateurs en les invitant à faire des jeux de mots sur fil) et L’année dernière à Abou Simbel (qui
consistait en un dépôt de sable sur l’écran). C’est la même année qu’elle
composera sa Suite infinitésimale sur six
réflexions esthétiques louches, représentant la version infinitésimale
possible d’un film policier.
Si diverses actions mémorables du groupe lettriste, notamment à l'occasion du
récital du Théâtre de l'Odéon, en janvier 1964, et de la représentation des
œuvres chorégraphiques d'Isou et de Sabatier sur la scène de l'Ambigu en 1965,
me restituent la personne de Micheline Hachette, son souvenir, je dirai
charnel, se perpétue aussi à travers la photographie de 1964 où elle apparaît
avec tant de grâce dans la célèbre Robe à
lire de son compagnon. » Extrait : Le Lettrisme Au-delà de la Féminitude, Murmure de femmes
autour du Lettrisme, Anne-Catherine Caron in Il Lettrismo al di là della femminilitudine, introduit par l’Apport du Lettrisme et du juventisme au
Mouvement de libération des femmes, d’Isidore Isou. Ed Zero Gravità, 2008.
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